Je Bouquine : 2000 ans pour s’aimer

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Séquence de littérature – cycle 4 – 5e. Un roman écrit par Marie-Aude Murail.
Fiche pédagogique réalisée par Antony Soron, maître de conférences HDR, agrégé de lettres modernes, formateur Lettres à l’Inspe Sorbonne Université. Avant d’entrer dans le détail de la séquence, Antony Soron nous décrit les principaux intérêts de l’œuvre.

Littéraire et didactique

Une autrice de jeunesse intense et prolifique

Marie-Aude Murail ne serait-elle pas à elle seule « la littérature de jeunesse » ? Elle, qui, née en 1954, s’est aventurée sur tous les sujets avec toujours le même souci d’authenticité et la même puissance narrative. L’autrice de Oh, Boy !, oeuvre traitant de l’homosexualité, internationalement reconnue, ne conçoit pas son champ d’action comme un espace littéraire protégé. Pour elle, les jeunes lecteurs sont capables de tout entendre à condition que le récit soit juste et non habité par une noirceur « à désespérer Billancourt » (Sartre). Très férue dès son plus jeune âge des aventures de Tintin et des romans de Dickens, Marie-Aude Murail conserve une imagination insatiable et un esprit aventureux. En tant qu’écrivaine pour la jeunesse, sans doute a-t-elle compris l’essentiel. Le jeune lecteur est exigeant et très logique ! Et ce de ce fait, il souhaite que les écrivain-e-s le prennent au sérieux. Mais ce n’est pas tout — et ici l’influence de Dickens joue un rôle décisif dans l’imaginaire de l’autrice de 2000 ans pour s’aimer. Un bon récit doit emporter son lecteur et quelque part créer un évènement dans sa vie. D’où le goût de l’autrice pour les récits à énigmes, à suspens, que l’on retrouve par exemple dans la série des Nils Hazard.
Au fond, il n’y a pas de récit de jeunesse sans enquêtes, sans découvertes, sans interrogations, autant d’éléments qui font naturellement des romans de Marie-Aude Murail des supports incroyablement dynamiques dans le cadre d’une lecture approfondie en classe.

Une saga romanesque en forme de roman-feuilleton historique

2000 ans pour s’aimer commence en 67 apr. J.-C. et finit en 2000. Le roman correspond de fait à un projet pour le moins ambitieux : traverser l’histoire depuis la Rome antique jusqu’à l’arrivée d’internet. De prime abord, on serait enclin à définir le livre comme une saga romanesque : sauf qu’ici, l’on ne va pas suivre une famille sur plusieurs générations, mais un flacon de parfum. Le roman tient donc en haleine le lecteur en se servant de cet objet témoin comme élément de jonction entre six histoires se déroulant à six époques très distinctes. En ce sens, la première caractérisation du livre en tant que saga romanesque justifie d’être complétée par une seconde sous la forme de l’expression « roman-feuilleton ». 2000 ans pour s’aimer n’exploite-t-il pas en effet le ressort narratif de ces récits fractionnés qui, à partir du milieu du XIXe siècle, fleurissaient dans les journaux de semaine en semaine ? En dépit du changement d’époque et du renouvèlement des personnages, le roman de Marie-Aude Murail pratique ainsi la logique de la « suite au prochain numéro » pour reprendre une expression populaire : chaque histoire ayant sa propre singularité tout en entretenant des constantes avec les précédentes et les suivantes.

Une progression éclatée à thème constant

L’histoire commence à l’époque romaine, se focalisant d’emblée sur le serviteur trublion d’un dignitaire romain. « Lupus » est un esclave qui semble avoir pris l’ascendant sur son maitre mal voyant et trop en chair, lui rendant autant de services qu’il lui joue de vilains tours. Très vite, il est aussi question d’une jeune esclave, Alba, dont on comprend qu’elle a des accointances avec la religion des « Christos » : religion persécutée, à cette époque de l’Empire romain, jusqu’au règne bien ultérieur de Constantin (272-337). Or, Alba, qui va aussi être achetée par le maitre romain de Lupus, a connaissance de la cachette où se trouve un flacon, dont le contenu aurait des propriétés magiques, liées aux miracles de Jésus-Christ, prophète des chrétiens.

C’est ce même objet extraordinaire que l’on va retrouver de « feuilleton » en « feuilleton » : objet se déplaçant au gré des aléas de la grande Histoire et des intentions de ses propriétaires successifs. De fait, le récit possède tout à la fois une unité — autour des aventures du flacon — et une diversité puisque le lecteur a tout lieu d’avoir comme première impression que chaque fois l’histoire « suivie » recommence à zéro.

Un roman d’aventures qui fait réfléchir

La lecture de 2000 ans pour s’aimer (roman de moins de 250 pages) est tout à fait adaptée à des élèves de cinquième tout en nécessitant des éclairages en classe. En effet, chacun des six chapitres renvoyant à une époque historique spécifique est à même de réclamer quelques éléments de contextualisation, par rapport à l’esclavage à Rome, aux invasions barbares, aux proscriptions dans la société médiévale (qui feront écho aux programmes d’histoire de 6e et de 5e) ou encore au soulèvement populaire lié aux journées sanglantes de février 1848 à Paris. Il n’en reste pas moins que la lecture « semi-autonome » de l’histoire demeure facilitée par sa structure narrative répétée, concentrée sur l’action d’un jeune héros impliquant l’objet de référence, le flacon. On notera, en outre, comme élément de cohésion facilitant la lecture, la nomination récurrente du personnage principal, « Lupus » dans le récit 1, « Wulfila » dans le récit 2 et « Loup » puis « Lou » jusqu’au dernier récit où le protecteur des loups se nomme « Wolf » (1). On observe par là même une proximité entre le héros et l’animal, dont on sait qu’il a été persécuté tout au long de l’histoire.

En ce sens, 2000 ans pour s’aimer, interroge par un biais narratif, le rapport que les hommes dits « civilisés » entretiennent avec ceux et celles, comme la « sorcière » dans le récit 4, qu’ils ont coutume de mettre au ban tels des pestiférés.

On sera par conséquent attentif au cours de la séquence à éclairer les dimensions « historiques » et « civiques » qui densifient le développement des intrigues successives.

Un projet d’enquête de lecture

L’idée est de proposer à des élèves de cinquième la lecture du roman sur une période de cinq semaines avec comme visée « problématique », en termes didactiques, celle de mener une enquête sur ce flacon dont chaque histoire opère un passage de témoin. À cette fin, on proposera aux élèves le scénario pédagogique suivant inspiré par les travaux de l’universitaire Pierre Bayard sur la « critique interventionniste ». Aussi, la lecture du roman supposera-t-elle que chaque élève se considère comme un témoin invisible et non actant des situations découvertes de chapitre en chapitre. En somme, chaque élève — rapporteur du groupe — sera invité à adopter la posture de l’enquêteur chargé de suivre le parcours du flacon. La période de lecture (5 semaines) supposera de façon hebdomadaire d’établir un « point-lecture » où un groupe déterminé sera chargé de divulguer les résultats de leur enquête à partir de la lecture du chapitre qui lui a été confié. Cette tâche hebdomadaire renouvelée aura pour finalité d’aboutir à un carnet d’enquêtes à l’échelle de la classe, dont le rendu est susceptible de prendre diverses formes : audiovisuelles, numériques, papier.

Méthodologie de l’enquête
Lors de la première séance, on reviendra sur l’objectif de l’enquête : comprendre les origines du flacon, son parcours et ses finalités. Les élèves devront agir comme s’ils enquêtaient sur un personnage dans un roman. Qui est-il ? Que fait-il ? Avec qui est-il en contact ? Pourquoi est-il si important ? Qu’apprend-on de plus sur lui d’histoire en histoire ? À quels moments redevient-il important dans l’intrigue ? Est-il dangereux ? etc.

La fiche complète avec les 7 séances pédagogiques

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