On réserve souvent les revues jeunesse à un usage privé, individuel, soit en famille, soit dans la bibliothèque ou la BCD. Parfois l’enseignant propose d’en extraire des informations pour une recherche documentaire ou bien d’en lire à voix haute une histoire en lecture offerte.
Dans cet article, Agnès Perrin nous explique pourquoi lire des magazines à l’école peut avoir une vraie pertinence pédagogique. Elle montre comment les revues peuvent prendre leur place dans la construction des apprentissages. Les propositions qui sont faites infra ne sont pas limitatives mais déterminent des axes de travail incontournables à l’école primaire.
Importance d’un accès à des « objets à lire » divers
Pour Jacques Bernardin (enseignant qui a notamment travaillé cette question avec Gérard Chauveau), l’entrée dans l’écrit « passe par la découverte des usages sociaux qui en fondent l’indispensabilité ». Il est donc fondamental que l’élève, tout au long de sa scolarité, soit confronté à des « objets à lire » variés, afin de construire des repères sur les fonctions et les codes qui leur sont propres.
Cette pratique est parfois installée dans l’univers familial de l’enfant mais beaucoup d’élèves, pour des raisons multiples, échappent à cette initiation privée. L’école ne peut ignorer cet état de fait et il est nécessaire qu’elle rétablisse dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, un équilibre indispensable.
Favoriser l’apprentissage des codes de lecture variés
Pour cela, les enseignants doivent pouvoir proposer aux élèves des supports de lecture authentiques et variés. Les différents magazines pour enfants tiennent donc une place importante dans cette sélection, au même titre que les livres et d’autres imprimés.
En effet, la présentation d’extraits de ces ouvrages dans un manuel ne peut suffire pour installer une connaissance des codes, conventions et usages des différents types d’écrits. Par ailleurs, il est intéressant de travailler véritablement les modalités de lecture attachées aux différents magazines pour construire un lecteur autonome, capable de choisir des supports de lecture adaptés à ses besoins.
Education au choix selon l’âge et l’objectif recherché
Bayard Jeunesse propose deux types de magazines qui répondent à deux usages complémentaires :
• les magazines plutôt centrés sur le développement de la lecture littéraire : Tralalire (école maternelle), Belles Histoires (de la moyenne section au CP), Mes premiers J’aime lire (CP/CE1), J’aime lire (du CE1 au cycle 3), D Lire (qui assure la transition du CM2 au collège) ;
• les magazines plutôt centrés sur la lecture informative et documentaire : Pomme d’Api (de la maternelle au CP), Youpi (cycle 2), Images Doc (fin de cycle 2 et cycle 3), Astrapi (fin de cycle 2 et cycle 3).
Cette partition entre les deux modalités de lecture peut sembler artificielle, notamment en ce qui concerne un magazine comme Pomme d’Api qui propose une offre comportant à la fois des récits, des textes explicatifs, réflexifs ou ludiques.
Néanmoins, il est intéressant pour l’enfant de savoir adapter le choix de l’ouvrage au type de besoin ou de souhait. C’est aussi une composante des apprentissages à conduire à l’école : l’éducation au choix du support tant pour une lecture fonctionnelle que pour une lecture personnelle centrée sur la construction de la lecture littéraire, et visant le plaisir de lire.
Construire des représentations sur la lecture et les supports imprimés
C’est ce que permet le magazine par la régularité de sa mise en page et de sa conception, notamment autour :
• de la notion de titre (titre de la revue qui est récurrent et qui appartient au livre/titre de l’histoire ou de la rubrique qui peut varier d’un magazine à l’autre). Cela permet d’observer la question de la permanence de l’écrit et de commencer à construire des apprentissages sur la nature de l’écrit. En effet, le titre d’un magazine auquel la classe est abonnée et qui revient chaque mois peut être inclus dans le lexique orthographique de la classe comme les prénoms ou d’autres mots récurrents ;
• du repérage des rubriques et de leur fonction. Chaque mois, l’enfant va retrouver : une fiction, une histoire pour mieux comprendre le monde qui l’entoure, une expérience, une bande dessinée, etc. Il va ainsi apprendre à se repérer dans le magazine et à comprendre la fonction d’une rubrique, d’un sommaire. A noter que les onglets proposés dans Youpi, la mise en forme du sommaire de Tralalire, les accroches au lecteur de Belles Histoires, le titrage du rôle de l’enfant chez Pomme d’Api sont autant d’éléments qui le guident dans cette prise de représentation et dans sa capacité à être autonome dans la manipulation des magazines avant même de maîtriser la lecture ;
• de la notion de série et de personnage principal. Elle peut s’installer de la maternelle au CP grâce à la récurrence des rubriques et à la présence de personnages qui donnent à l’enfant un rendez-vous mensuel (Petit Ours Brun, Sam Sam, Lou le loup, Archi et Toupeti, Zouk la petite sorcière, etc.). Il s’agit ici, par la rencontre régulière avec le personnage, de découvrir qu’il est présent dans tous les numéros, qu’il est toujours le même et a toujours la même fonction, qu’il vit des aventures différentes d’un mois à l’autre. Les observations des chercheurs montrent que cette notion de permanence du personnage est difficile à mettre en place et qu’elle nécessite un travail de longue haleine. Une publication régulière, que l’on peut retrouver d’une classe à l’autre est donc un bon support pour construire ces apprentissages ;
• du regard critique que le lecteur doit porter sur sa lecture. Au cycle 3, la lecture des différents courriers des lecteurs favorise aussi la construction d’un jugement sur le texte et le magazine et de la capacité à interagir avec les rédactions. Il s’agit de comprendre qu’un bon lecteur, c’est aussi celui qui émet un avis sur ce qu’il lit.
Développer une posture de lecteur
Il s’agit de comprendre qu’un texte peut remplir diverses fonctions et que son choix sera dicté par la nécessité de l’utilisation : A-t-il besoin de lire pour trouver des informations ? A-t-il envie de lire et qu’a-til envie de lire ? (etc.) Par ailleurs, et c’est le point le plus intéressant dans un magazine, la variété des rubriques permet d’aborder des modalités de lecture différentes.
Il s’agit alors de comprendre qu’on ne lira pas le roman comme la bande dessinée, qu’on peut être invité à jouer, à intervenir dans la lecture. On construit donc un lecteur actif et conscient de son activité qui adapte ses stratégies au support. On mène l’enfant progressivement à l’autonomie et on éduque ses choix personnels en matière de relation au texte et à l’objet imprimé. Enfin, l’ensemble des propositions textuelles d’un magazine permet à l’enseignant d’adapter le travail en fonction du niveau de lecture des enfants.
Il peut demander à chacun de choisir une rubrique, de la présenter à ses camarades. Un élève en difficulté pourra choisir une rubrique très courte, un jeu, une page dans laquelle l’illustration prend une place importante.
Favoriser l’interdisciplinarité et la transversalité des apprentissages
Le contenu des revues permet de favoriser une approche de la lecture de textes variés et d’aborder la question de la maîtrise de la langue dans diverses disciplines qui touchent aux domaines :
• littéraire, à travers les récits et les bandes dessinées, les critiques d’ouvrages (J’aime lire, Astrapi, D Lire), et linguistique avec la manipulation du lexique dans les Drôlimots (Tralalire), Bienvenue au pays des lettres (Belles Histoires), les Superdevinettes, Le mot du mois (Youpi) ou des jeux comme la Fabrikamots de J’aime lire, etc.
• artistique, à travers différentes rubriques (comme les Zinzincroyables de D Lire) et des partenariats (plastique avec les illustrateurs, musical avec les chansons et la collaboration avec les petits loups du jazz par exemple, cinématographique notamment avec la société Folimage…).
• de la découverte du monde, d’un point de vue historique et/ou scientifique.
• du vivre ensemble, de la réflexion sur les grands problèmes éthiques et sociaux instaurés soit par les textes littéraires, soit par des rubriques spécifiques comme « Le monde à la loupe », « Pik la panique et Pik esprit pratique » (Astrapi), « Le mot de l’actu » (Images Doc), « Les p’tits philosophes» (Pomme d’Api), « Je protège ma planète » (Youpi).
Enfin, les revues invitent les élèves à une certaine interactivité qui peut être source de production d’écrits contextualisés dans des situations de communication authentiques : courrier des lecteurs, blogs, concours, jeux, participation à la publication en envoyant des propositions pour des rubriques.
Il ne s’agit pas de concevoir une liste exhaustive des activités à conduire avec la presse jeunesse mais de montrer que le magazine peut avoir un vrai rôle dans la construction des apprentissages à l’école maternelle et élémentaire. Reste à établir des modalités d’utilisation des magazines !
Par Agnès Perrin, agrégée de lettres modernes, professeur à l’IUFM de Créteil.
« Les enseignants doivent proposer des supports de lecture variés. »
Téléchargez le PDF: « Lire des magazines à l’école, pourquoi ? » ici.