Agnès Perrin : « Il faut transformer l’émotion des élèves et la nôtre en empathie »

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photo agnes perrin

Après les attentats à Paris, dans un entretien accordé à Bayard Éducation, Agnès Perrin, maître de conférence en littérature à l’ESPE de la faculté de Montpellier propose quelques pistes simples et pratiques pour réagir en classe face aux événements, en s’appuyant notamment sur les textes littéraires.

Pour tous ensemble faire triompher la fraternité contre la sauvagerie et retrouver les Lumières que les terroristes cherchent à éteindre.


Après les attentats à Paris, quels conseils avez-vous donnés à vos stagiaires, jeunes enseignants en élémentaire, pour réagir le 16 novembre ?

Il y a deux temps de réaction. À chaud, je leur ai conseillé de permettre l’expression de la parole des enfants, sans aller au-delà dans un premier temps et en conservant bien les règles habituelles de vie de la classe pour favoriser des prises de parole apaisées. Tous les mots sont acceptables sauf ceux qui stigmatisent de supposés coupables dans la population. Une fois que ces paroles se sont exprimées, je leur ai suggéré de proposer une collecte de mots : ceux de la peur, ceux de la colère et ceux de la paix.

En triant les mots dans ces trois catégories, on apprend la culture des émotions. Il est essentiel que l’enseignant lui-même se prête à cet exercice. Cela permet quelque chose de très important : montrer que lui aussi a eu peur, que lui aussi est en colère et que lui aussi aspire à la paix. Puis il faut s’appuyer aussi, c’est fondamental, sur la littérature, notamment les histoires qui évoquent la violence tels que dans les mythes ou les contes. Lire le texte choisi (1), laisser les paroles s’exprimer puis dire qu’on en reparlera plus tard, qu’on laisse d’abord la colère se calmer.


Et après, lorsqu’on est moins à chaud ?

Là il est nécessaire de s’appuyer sur des documents et notamment sur la presse, et le travail de la presse jeunesse est très utile (voir http://www.bayard-jeunesse.com/Actualites/Attentats-de-Paris-des-documents-pour-aider-les-enfants-et-les-adolescents-a-comprendre), pour rechercher des faits. Qui sont les terroristes ? Qui sont les victimes ? Qu’ont-ils fait ?

Il est indispensable de faire noter aux élèves que les victimes sont des innocents.  Il est bon aussi de leur faire comprendre au regard des faits que les terroristes n’ont pas pu faire tout ce qu’ils voulaient, comme par exemple faire sauter le stade de France, et que nous sommes protégés par des forces de l’ordre qui font leur travail. Pour les rassurer sur les capacités du monde des adultes à les mettre en sécurité. Et puis il faut continuer à lire des textes littéraires qui « réparent ».


En quoi les textes littéraires que l’on a lus sont-ils réparateurs dans ce contexte ?

La littérature aide à comprendre que la violence existe depuis longtemps et qu’on n’est pas seul à avoir peur. Elle aide à assumer ce que nous avons tous tendance à rejeter : des tabous comme la peur, la violence, le désir de meurtre…

Pour dépasser tout cela, il est nécessaire de passer par leur symbolisation. En cycle 3 par exemple, vous pouvez lire le dernier texte du livre de François David Une petite flamme dans la nuit. C’est une très belle parabole où un dictateur veut interdire toutes les lumières et où les villageois, luttant tous ensemble, font triompher la lumière. Lire une histoire avec une fin positive, c’est mieux.

Mais lire aujourd’hui la guerre des dieux ou la guerre de Troie permet également de mettre des mots et des images sur ce que l’on vit. Cela médiatise les émotions et conduit à les transformer en empathie. N’oublions pas que c’est justement ce qui fait défaut aux terroristes : ils sont habités par une émotion forte et négative, la haine, mais ils sont dénués d’empathie. La fraternité ne peut pas se vivre sans empathie, c’est le premier moteur de l’humanisme.

Et pour apprendre à se mettre à la place de l’autre il faut se frotter à la littérature et se faire raconter des histoires… Comme l’écrit Michel Séonnet dans son album Madassa (2) : « la maîtresse lisait à Madassa l’histoire du Petit Poucet qui avait si peur dans la forêt et la peur du Petit Poucet se promenait dans la tête de Madassa. La maîtresse lisait à Madassa l’histoire de la petite marchande d’allumettes et la tristesse de la Petite Marchande pleurait dans la tête de Madassa. » Tous ensemble faisons triompher la fraternité contre la sauvagerie et retrouvons les Lumières que les terroristes cherchent à éteindre !

Propos recueillis par Murielle Szac

(1)  Quelques textes en référence : Le Feuilleton d’Hermès, épisode 16 (Le premier crime du monde), épisodes 27 et 28 (la guerre des Dieux) de Murielle Szac et Jean-Manuel Duvivier et Le Feuilleton d’Ulysse épisodes 36, 39 et 40 (la fin de la guerre de Troie) ainsi que Une petite flamme dans la nuit de François David et Henri Galeron (Bayard Jeunesse).

(2)  Madassa, de Michel Séonnet et Cécile Geiger, éditions Sarbacane