Comment les journaux peuvent servir de relais entre l’enfant, les parents et l’école?

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Le congrès de l’AGEEM avait pour thème le lien entre famille, enfant et école.

Dans ce cadre Michel Grandaty, professeur des universités en Sciences du langage à l’ESPE de Midi-Pyrénées, a fait une communication montrant le rôle que la presse magazine peut jouer dans ce contexte.

Voici la retranscription de son intervention. Les magazines éducatifs se sont développés dans les années 1970 pour compenser aux yeux des parents l’influence grandissante de la télévision (Jean-Marie Charon, La presse des jeunes, éditions La Découverte, 2002). Il s’agit de transmettre à son enfant un certain nombre de valeurs susceptibles de l’aider à grandir. Au regard du thème des journées AGEEM qui portent sur les liens enfant, école, famille et des expositions du congrès portant sur des projets de classe, on peut constater qu’une école inclusive comporte trois composantes.

La première relève des domaines disciplinaires qui favorisent ces liens, par exemple en E.P.S, en sciences, en littérature.

La deuxième relève des projets de classe qui amènent les élèves à rendre compte de leur activité.

La troisième réside dans l’existence de supports communs à l’école et à la maison comme le cahier de vie, l’usage de boîtes à fonctions multiples, comme le montrent les divers affichages produits pour ce congrès. C’est dans ce dernier volet que se retrouve le magazine, à la fois support culturel populaire de lecture et lien, passerelle, entre l’école et la maison.


La transmission (l’enseignement) de la lecture et de l’écriture conçues comme un processus de délégation sociale

Il existe plusieurs raisons de penser que cette transmission est bien, à la base, un système particulier de délégation. Sur le plan anthropologique, Jack Goody insiste sur le fait que l’écriture n’est là que depuis cinq mille ans et qu’elle n’est un trait universel que depuis guère plus de cent ans (Entre l’oralité et l’écriture, PUF Ethnologies, 1994). Le processus de transmission est forcément très lent et dépend de la qualité des médiations sociales mises en place : famille, institution, association, etc. C’est le psychologue du développement Lev Vygotski qui a le premier mis en avant l’importance de ces médiations dans tous les apprentissages linguistiques. Et si donc la dimension cognitive, psycholinguistique, de l’apprentissage du langage est bien centrale, ce n’est pas la seule impliquée dans l’appropriation de ces outils langagiers, car leur nature est culturelle, c’est-à-dire artificielle. La société a créé des formes de discours, des usages de ces discours qui ont des fonctions précises, et que l’enfant va devoir redécouvrir à l’aide de médiations sociales qui peuvent prendre une forme scolaire.

Apprendre à penser en maternelle consiste à s’approprier des outils langagiers, le récit par exemple, pour agir sur soi et sur le monde. C’est le philosophe Paul Ricœur qui explique que l’apparition du récit a permis à l’homme de gagner en humanité, en mettant en scène des individus qui ont des buts et des intentions dévoilés et qui sont ainsi tenus responsables de leurs actes par le lecteur. En s’identifiant ou s’opposant aux comportements d’un personnage notre rapport aux autres s’éclaircit. Pour Ricœur, le récit est au fondement de la notion de « responsabilité » et porte donc en germe la possibilité de l’émergence d’une morale sociale. S’approprier les récits dès la maternelle, c’est posséder un outil qui offre une première maîtrise de son rapport aux autres, d’un vivre ensemble.


Les rôles des magazines dans la construction de l’enfant : une approche sensible de la médiation

Par rapport au livre, le magazine éducatif apporte une périodicité qui favorise la construction familière d’une pratique sociale – lire – et met en avant des héros (dans les récits, les bandes dessinées) qui concourent à la construction du sens de la responsabilité (voir Ricœur). Ces supports éducatifs d’un genre particulier assument trois rôles principaux. Ils concourent au développement intellectuel et affectif de l’enfant, lui permettent de cultiver son identité propre tout en l’insérant dans la société des adultes.


Aider au développement intellectuel et affectif

Le lecteur de magazine est défini a priori comme un enfant curieux, actif et imaginatif. Les magazines sont donc construits autour de ces trois axes qui prennent en compte une triple construction de l’enfant :

  • éveiller et rassasier sa curiosité portant sur le monde dans sa dimension documentaire ;
  • cultiver sa part d’imaginaire par la littérature, récits, poèmes, bandes dessinées, humour ;
  • accompagner son action par des rubriques où l’enfant dessine, joue, construit…

Le traitement littéraire des histoires dans les magazines, par la segmentation en tranches d’âge, est très abouti et très particularisé. À chaque âge ses modes d’accès spécifiques et des critères de lisibilité très adaptés, très travaillés par les journalistes de la petite enfance que l’on doit considérer comme des experts.

La part active de l’enfant y est provoquée en permanence par des rubriques de jeux, de coloriages, de montages à effectuer. L’enfant doit exercer sa sagacité, son habileté et son esprit d’à-propos. Il est confronté à une difficulté qu’il surmonte, puisqu’elle est adaptée à la tranche d’âge.

Si cette aide au développement cognitif de l’enfant est si prégnante, c’est parce qu’elle s’appuie sur des facteurs combinés qui en deviennent spécifiques du magazine, par ses changements de rythme, ses multiples entrées, les effets de surprise qui en découlent et l’effet de familiarité qui résulte de l’abonnement.


Cultiver l’identité de l’enfant

Les magazines peuvent être considérés, sur le modèle de l’analyse de Françoise Dolto, comme un outil qui cultive l’appartenance à un groupe de pairs. Cette appartenance est indispensable à l’équilibre de l’enfant et lui permet de grandir précise Françoise Dolto. Cette identité passe, à la maternelle, par l’identification à des personnages.


Insérer l’enfant dans la société des adultes

C’est la principale force d’action du magazine éducatif. Une société est responsable de ce qu’elle met sous les yeux de ses enfants. Si l’on se réfère aux travaux de Jerome Bruner sur les relations entre la mère et son bébé, le pointer du doigt est un geste capital invitant l’enfant à regarder dans la même direction que sa mère une portion du réel qui prend par la même de l’importance.

Dans cet esprit, une société pointe du doigt certains produits, certains comportements et leur donne ainsi une valeur humaine plus importante : « Dis-moi ce que tu montres à tes enfants et je te dirai quels adultes tu souhaites construire… » Si l’école publique a une mission centrale d’éducation, il n’est pas anodin de voir que le magazine éducatif participe de son univers, en étant présent dans les bibliothèques. Ce n’est pas seulement le parent qui le prescrit, mais aussi l’enseignant.

Le magazine éducatif est un objet culturel de lecture proposé aux enfants, à travers lequel se profile la présence confiante des adultes qui font le pari d’une certaine qualité et de valeurs assumées : apprendre à aimer, aimer à apprendre, prendre confiance.

Par Michel Grandaty, professeur des universités en Sciences du langage à l’ESPE de Midi-Pyrénées.